Plan de Protection de l’Atmosphère en Vallée de l’Arve : Tout changer pour ne rien changer !

Article proposé par le Collectif Anti-Pollution Cap Cluses en Vallée de l’Arve (Département de Haute-Savoie)

Depuis le lundi 10 décembre 2018 et jusqu’au 14 janvier 2019, une version officielle du Plan de Protection de l’Atmosphère est disponible dans les mairies (et sur internet) afin que chacun puisse donner son avis. 

Le Plan de Protection de l’Atmosphère est le renouvellement de la première version qui s’étalait entre 2012 et 2017. Rien n’est laissé de côté : transport, tourisme, logement, industrie, météorologie, surveillance, tous est expliqué dans ce (très) long document. Mais, au fond, l’esprit de ce document, c’est tout dire pour ne rien dire, tout changer pour ne rien changer. Voici nos explications.

La nécessité d’un changement du mode de vie reconnu mais balayé…

L’orientation générale du PPA 2 est annoncée à la page 206 avec la reconnaissance que pour améliorer réellement la qualité de l’air (normes OMS), il faudrait une transformation radicale du mode de vie :

« Les recommandations de l’OMS semblent, dans le délai de 5 ans, difficilement atteignable sans une profonde modification du bassin de vie de la vallée de l’Arve. En revanche, le scénario de l’EQIS, quoi qu’ambitieux, semble crédible ».

Les propos hallucinants du Préfet dans l’édition du Messager du 18 octobre 2018

Alors que la vallée de l’Arve est dans une situation d’ « urgence sanitaire et écologique prioritaire » (p.3), que la pollution de l’air est considérée comme cancérigène par l’OMS (p.97), le préfet présente un plan au rabais qui comprend toujours 40 décès prématurés et 40 000 personnes exposées au-dessus des seuils réglementaires de PM 2,5.

Il est scandaleux de continuer de mettre de côté des personnes : la santé est à tous ou n’est à personne !

On pourrait être plus mesuré et se rassurer en se disant que cette « profonde modification du bassin de vie » viendra à long terme. Mais cela semble peu probable puisque le préfet dit lui-même dans le journal « Le Messager » du 18 octobre 2018 : « la pollution dans la vallée sera réglée avec le PPA2 ».

Le refus de respecter les normes de l’OMS en dit long sur la mentalité des autorités qui raisonnent en termes de « coûts », de « réalisme économique », alors que notre réalisme c’est notre droit à une vie saine avec une atmosphère pure à léguer aux générations futures.

L’État a des moyens colossaux à disposition, la richesse est énorme dans la vallée de l’Arve (tourisme, décolletage) mais les bâtisseurs du PPA préfèrent baisser les objectifs d’amélioration de la qualité de l’air au mépris de la santé, de l’impératif écologique et des exigences démocratiques.

à cause de l’absence de mesures contraignantes

La baisse des émissions polluantes se base, en partie, sur les changements évolutifs « naturels » dans la société (« baisse tendancielle »), comme la modernisation du parc automobile (électrique et normes écologiques) auxquels viennent donc s’ajouter les mesures effectives du PPA 2.

Mais dans une société régie par la « liberté du marché », peut-on faire confiance aux seuls intérêtsparticuliers pour changer sans mesures contraignantes ? Aurions-nous oublié le « diesel Gate » et Les multiples fraudes à l’Ad-Blue ?

Il est donc proposé d’interdire les camions les plus polluants (mis en circulation avant 2006) et de renforcer les contrôles à la fraude. Cela est juste mais avec quels moyens mobilisés et avec quelle continuité ? Les ressources en gendarmerie et les contrôleurs de la DREAL sont-ils suffisants pour effectuer de vastes contrôles réguliers ?

Face à ce casse-tête du contrôle des poids lourds (600 000 par an !), c’est le transport de marchandises par le train qui est évidemment la solution de long terme ! Mais cela demande des infrastructures dans lesquelles l’État et la SNCF ne souhaitent pas investir (le transport par route étant plus rentable). On se heurte là de plein fouet à une logique capitaliste, entretenue par l’État lui-même. 

Une des seules mesures contraignantes et médiatisées est le « fonds air bois ». Cela consiste en l’interdiction des foyers les plus polluants en parallèle d’une aide financière pour leur remplacement (2 000 euros). Mais cette aide est encore bien trop faible pour certains foyers qui sont prisonniers de l’endettement, alors même que c’est la rénovation énergétique des logements collectifs qui est prioritaire dans le bassin Clusien.

Enfin, et surtout, le PPA reconnaît que les concentrations de polluants varient en fonction des sources émettrices, réparties de manière aléatoire entre la combustion des feux de cheminée et la combustion industrielle (p .114). Interdire les feux de cheminées les plus polluants, limiter la vitesse sur l’autoroute et stopper le brûlage des déchets verts sont des mesures justifiées mais bien insuffisantes pour agir sur la pollution en général.

Un P.P.A anti-démocratique ?

Le tourisme et l’industrie sont donc des gros points noirs pour les autorités (le secteur industriel concentre 23 % des emplois contre 13 % en France).

Il est parlé d’un « fonds air industrie » qui « incite à des modes de production plus économes et écologiques » (p.19) sans aucune mesures contraignantes. Par exemple, entre 2012 et 2017 les 21 usines inspectées qui ne respectaient pas la loi n’ont eu qu’un simple « rappel à la réglementation » (p.141) !

Ce qu’il nous faut, c’est bien un comité populaire de surveillance des usines avec des sanctions exemplaires !

Le nuage de pollution au-dessus de Cluses. Une pollution issue des usines de Scionzier et qui s’étend ensuite ?

Un tel comité populaire de surveillance doit être composé en priorité d’habitants et de salariés des usines locales et disposer impérativement de moyens de sanctions efficaces sans quoi il ne serait qu’une coquille vide.

À cette implication de la population de base, s’ajoute la nécessité d’avoir une surveillance générale de la pollution de l’air dans notre bassin de vie. Alors que des polluants d’origine industrielle comme le nickel, le plomb, l’arsenic, le cadmium sont, normalement, soumis à une surveillance réglementaire (p.101), il n’y a aucun capteur de ce type dans le bassin de Cluses. 

Nous réclamons de toute urgence l’installation d’un capteur de ce type dans la zone autour de la gendarmerie de Scionzier qui voit régulièrement s’étendre un nuage grisâtre typique des particules en suspension.

Enfin, il y a un vraie problème démocratique dans le financement de ce fonds. Est-ce à la population locale de payer massivement à la mise aux normes écologiques d’usines qui font, par ailleurs, des chiffres d’affaires très élevés ? La justice sociale ne demande t-elle pas que cela soit aux propriétaires des entreprises d’entretenir leurs infrastructures dans un souci de santé et d’écologie ?

La clientèle huppée doit contribuer à la hauteur de ses loisirs !

À cela s’ajoute que « l’activité touristique structure le parc de logement du territoire » (p.56) avec près de 20 % des logements de la vallée qui sont tirés par les résidences secondaires (p.59). En hiver, la population triple avec, pour certains, l’occupation de chalets équipés en cheminées dans une période où les phénomènes d’inversion de température augmente la stagnation des particules fines. Il y a aussi l’intensification du trafic de marchandises et de personnes qui lui est naturellement lié.

Le parc résidentiel dans la communauté de commune de Cluses : dans le bassin de Cluses, une majorité de logements collectifs (teintes de bleu et vert) contre une majorité de résidences secondaires dans les communes d’altitudes (teintes de jaune).

Pourquoi ne pas mettre en œuvre un impôt progressif en fonction de la taille des résidences secondaires et sur les réservations du secteur de l’hôtellerie-restauration afin de financer des projets de rénovation énergétique et de mobilité en commun ? C’est là un enjeu de justice sociale liée à la nécessaire transition écologique.

L’absence totale d’une grande politique de transport en commun.

Un des derniers points concerne la mobilité. Pour nous, la voiture électrique n’est pas la solution car elle est néfaste tout autant pour les sols (extraction de minerais) que pour l’atmosphère. En effet, la batterie alourdie de 300 kg le poids d’une voiture avec pour conséquence une augmentation des émissions liées à l’usure des pneus et des freins. De plus, la demande de lithium ne fera qu’augmenter la production de l’usine SGL Carbon à Chedde qui est massivement orientée vers ce débouché (p.142) alors qu’elle devrait plutôt logiquement baisser.

La part réduite des travailleurs frontaliers résidant dans le bassin de Cluses.

La seule solution de long terme est la mise en place d’un RER périurbain connecté, dans chaque intercommunalité, à un réseau de transport en bus à l’énergie la plus propre et pensé autour des trajets de la vie quotidienne (surtout domicile-travail).

Ce réseau de transport en commun pourrait être financé dans le cadre de cotisations sociales avec une répartition équitable entre les employeurs et les employés.

De plus, avec seulement 1 % des trajets domicile-travail effectués en train contre 64 % en voiture (p.75), il est nécessaire, tant socialement qu’écologiquement, que les transports en commun soient gratuits. C’est la seule perspective afin de briser l’individualisme de la voiture et amener la population à s’en détourner massivement.

Mais pour cela, le PPA doit cesser de tout élaborer en fonction de Genève et de la fameuse ligne de train « Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse » (CEVA). Il est nécessaire de se focaliser sur les trajets du quotidien de la population locale. Il y a là encore un enjeu démocratique car la majorité de la population de la vallée de l’Arve, et du bassin de Cluses en particulier, ne travaille pas à Genève !

De la même manière, il est stupéfiant de vanter les mérites du « Funiflaine » (projet de téléphérique qui doit relier Magland et la station de ski de Flaine – p. 167 et 175). Au-delà du fait que le réchauffement climatique menace à moyen terme la viabilité de ces stations de sports d’hiver, un tel projet n’est pas là pour répondre aux besoins de la mobilité locale.


A croire que les autorités utilisent le PPA et la pollution de l’air comme faire-valoir de projets économiques pour capitaliser toujours plus de richesses sans vision cohérente de long terme qui réponde aux besoins sociaux et écologiques.

Au vue du PPA 2, il est clair pour nous que le compte n’y est pas. Nous réclamons la mise en œuvre effective du scénario de l’OMS avec le changement de mode de vie et la mise à disposition des moyens de l’Etat que cela implique.

Nous appelons ainsi toutes les personnes soucieuses de la pollution de l’air de porter la critique dans l’enquête publique avec comme axe principal cette exigence démocratique.

En savoir plus

Laisser un commentaire