Ces militants alpins qui mènent la bataille pour l’accès à la nature et à la montagne

Le confinement actuel, rendu probablement nécessaire par l’incapacité de notre état à gérer la propagation de l’épidémie Covid-19, a été imposé aux citoyens au travers de mesures prises de manière autoritaires, attentatoires à nos libertés fondamentales et souvent paradoxales. L’accès à la nature, particulièrement menacé, a engendré une mobilisation inédite des montagnards alpins.
Revenons tout d’abord sur le contexte et les raisons de cette bataille encore en cours.

La limite 1km / 1h porte atteinte à notre accès à la nature sans contribuer à réduire la propagation de l’épidémie

La limitation à 1 kilomètre et 1 heure autour de son domicile pour la pratique sportive et prendre l’air, conjuguée lors du premier confinement à l’interdiction de se rendre dans des espaces naturels, est vite apparue aux yeux de nombreux citoyens comme injuste, aberrante et contre-productive, quand dans le même temps, on les incitait à se rendre dans des supermarchés et à travailler malgré tout, dans des lieux beaucoup plus à même de favoriser la propagation du virus, que les grands espaces naturels. Certains ont pointé des règles absurdes quand on les autorisait par exemple à courir mais pas à marcher pour leur activités sportives, à courir certes mais le long de la route et non sur les sentiers, quand on voulait les forcer à faire leurs courses en voiture alors que le vélo est un mode particulièrement adapté pour éviter de fréquenter en masse les transports en commun tout en réduisant la pollution si chère à nos vallées alpines…

Les opposants à cette privation de nature s’appuient sur plusieurs arguments :

  • La limitation à 1km autour de son domicile renforce les concentrations de population en milieu urbain, alors que l’accès aux espaces naturels hors des villes serait de nature à réduire les rencontres et les contacts entre la population.

“se promener dans la nature ne porte pas atteinte aux règles de distanciation sociale”

  • L’accès à la nature relève d’un enjeu de santé publique :

“De nombreuses études médicales démontrent l’effet bénéfique du contact avec la nature sur le stress, l’anxiété, ou encore la dépression. Il est aussi démontré que cet effet bénéfique se répercute sur le système immunitaire et sur les comportements d’addictions (alcool, tabac, anxiolytiques, psychotropes) et probablement même sur les violences familiales. Par ailleurs, en favorisant la motivation à « bouger » dans un environnement naturel agréable (beauté, silence, odeurs), ces activités permettent de lutter contre la morbidité liée à la sédentarité (prévention des maladies cardiovasculaires, obésité, diabète, insuffisance veineuse, douleurs articulaires, mal de dos, etc.) inhérente au confinement.”
– extrait de la pétition “pour un accès responsable à la nature en période de confinement”

Dans cette mobilisation grandissante pour réclamer l’accès à tous à la nature, les alpins et les montagnards sont les fers de lance de la contestation*. Voici 2 portraits de ces montagnards engagés.
*les surfeurs sont dans la course également

Un accompagnateur en montagne militant de l’environnement donne de la voix pour la liberté d’accès à la nature au travers d’une pétition

Parmi les voix qui se sont élevées contre la privation de nature, on compte notamment celle d’un accompagnateur en montagne, Billy Fernandez, habitant du massif du Queyras.

Billy Fernandez, accompagnateur en montagne du Queyras

Billy Fernandez a tout du profil type du militant montagnard, passionné de nature et engagé dans sa protection : ainsi, la biographie de cet ancien candidat aux élections européennes avec le collectif Urgence Ecologie, précise son parcours en la matière :  ancien  élève du lycée « sport nature » de Die (Drôme), il s’engage d’abord dans des mouvements sociaux et environnementaux lycéens puis milite au sein de l’ONG de protection de la montagne Mountain Wilderness. Ses études en géographie alpine sont aussi fortement engagées dans le domaine environnemental : il a notamment consacré son mémoire de master aux risques systémiques d’effondrement et à la décroissance. Il a poursuivi par la suite dans cette lignée en travaillant durant 6 ans au sein de l’association France Nature Environnement.

Billy a été une des premières voix à vouloir se faire entendre, en s’associant à la docteur Solène Petitdemange, caution scientifique sans aucun doute nécessaire : le milieu médical semble peu s’exprimer sur cet enjeu pourtant crucial tant les conséquences de l’enfermement pourrait avoir des conséquences psychiques et physiques à long terme sur la santé d’une partie de la population. Ils ont lancé au printemps dernier une tribune et une pétition, soutenues par des personnalités diverses dont plusieurs montagnards de renom : Lionel Daudet – alpiniste et écrivain, dont on connait son militantisme appuyé (notamment contre l’installation de la ligne Très Haute Tension dans les Hautes-Alpes), Frédi Meignan – ancien gardien de refuge et président de l’ONG Mountain Wilderness principale association de protection de la montagne, François Labande, alpiniste, écrivain et administrateur du Parc des Ecrins, Philippe Bourdeau – Enseignant chercheur à l’Université Grenoble-Alpes, spécialiste des pratiques sportives en montagne, Guillaume Vallot – Journaliste et éditeur de topos montagne,…

La pétition a vite pris de l’ampleur et s’approche désormais des 200 000 signataires.

Un montagnard-artiviste réinvente la désobéissance civile en temps de confinement

Thibault Cattelain – Photo Clément Belleudy

Autre figure de ce mouvement, le jeune Thibault Cattelain est originaire de l’île de la Réunion et grenoblois d’adoption depuis près de 10 ans, ingénieur et docteur en sciences cognitives et avant tout montagnard et réalisateur autodidacte dans l’audio-visuel.
Il est le co-auteur d’une mobilisation spectaculaire le vendredi 13 novembre : l’allumage d’un cœur lumineux au sommet d’une montagne du massif de Belledonne constitué d’une cinquantaine de frontales. Sa prouesse tient autant dans la beauté artistique du geste qui a pu être observée par de nombreux habitants de la Métropole de Grenoble que par le fait que cette manifestation bravant le confinement et la limite imposée du kilomètre a eu un fort impact médiatique alors même qu’elle aurait été réalisée par 2 personnes uniquement !

Le Coeur sur le sommet du Colon en Belledonne – Photo Alain Herrault
Le coeur vu depuis la métropole de Grenoble (auteur de la photo inconnu)

Face au manque de visibilité et de victoire obtenues grâce aux mobilisations traditionnelles (manifestations, grèves, votes,…), les activistes de tout poil sont forcés de déployer au 21ème siècle une diversité de tactiques et d’actions pour attirer médias et citoyens à leurs causes. La désobéissance civile non violente fait partie de leurs principales armes, de plus en plus déployée par les militants engagés dans des combats environnementaux.

Thibault revendique cette désobéissance civile car la limite de ce qu’il peut accepter en tant que citoyen et humain est pour lui aujourd’hui franchie. Comme beaucoup, il juge que  “la nature fait partie de [son] équilibre physique et psychologique”.

Le geste de ce cœur signe donc un renouvellement à la sauce alpine de ce type d’action (en écho à une précédente manifestation en forme de cœur sur une autre montagne de Belledonne réalisée en 2016), ajoutant de la poésie dans un monde en souffrance, comme le rappelle les Montagnards du Cœur dans leur communiqué et au travers d’une vidéo très partagée sur les réseaux sociaux : “C’est un acte bienveillant et doux dans un monde austère. C’est une lumière dans l’obscurité.”

Les raisons de son passage à l’acte, Thibault l’explique en ces termes :

“Lorsque j’ai pris connaissance des consignes de confinement annoncées le 28 octobre par notre président Emmanuel Macron, j’ai été marqué par la quantité d’inégalités et d’incohérences qui parsemaient le discours : beaucoup de règles semblaient absurdes, exagérées, incohérentes, inadaptés à l’ensemble de la population dans sa grande variabilité, et liberticides. Et ces inégalités sont amplifiées ensuite par des dérogations en tout genre (chasse, équitation, professionnels tout azimut dont les professionnels de la montagne, …).

Son engagement va au-delà de la problématique d’accès à la nature : il s’était déjà investi dans la manifestation Cœur pour les Vans en Belledonne pour préserver cette montagne face à la volonté de la station de Chamrousse d’agrandir son domaine skiable et est impliqué dans de nombreuses actions liées à la montagne, notamment au sein du comité territorial Isère de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne.

Son fait d’arme a depuis été renouvelé par d’autres collectifs informels de montagnards réunis pour la circonstance : des coeurs se sont éclairés au dessus d’Annecy, mais aussi dans les Pyrénées ou encore dans les collines lyonnaises,… et d’autres sont probablement en préparation car l’étincelle semble bien partie.
MAJ du 23 novembre : de nouveaux cœurs lumineux sont apparus ce week-end : dans la vallée de Cluses et de nouveau au dessus de Grenoble, cette fois dans le Vercors , en Chartreuse le 28 novembre

Les Alpins sont de plus en plus nombreux à braver le confinement pour aller dans la nature

Au-delà de ces figures de proue, les alpins sont nombreux à braver, ouvertement ou non, le confinement, pour jouir de leur droit à la nature. Ainsi, que ce soit lors de balades à proximité des zones urbaines, ou sur des itinéraires de randonnées, on peut constater, encore plus lors de ce second confinement, un certain nombre de randonneurs, coureurs, VTTistes,… qui ne se cachent plus. Sur les réseaux sociaux, les appels à enfreindre la règle du kilomètre pour aller randonner se multiplient, si possible “sans se faire prendre” grâce au signalement des forces de l’ordre facilité par les outils numériques. Alors qu’on avait pu voir apparaître lors du premier confinement des comportements de délations pour dénoncer son voisin aux forces de l’ordre, c’est l’inverse désormais qui se produit avec les vigies citoyennes réunies pour surveiller la “volaille du plateau” (nom de code). Et on voit fleurir sur les réseaux sociaux des partages militants comme cette page postant des photos de “randonnées dissidentes” :

Photo d’un déconfiné dans le Vercors

Certains professionnels proposent par ailleurs, au travers de motifs souvent intelligents, de faire bénéficier à des citoyens de la dérogation acquise par leurs statuts (les professionnels des sports de montagne notamment ont le droit d’aller en montagne) afin de déroger à la limite du kilomètre et prendre l’air.

Extrait d’un message diffusé par un professionnel

La mobilisation des montagnards se fait entendre… jusque dans les rangs de l’Assemblée

Ce qui est remarquable, c’est que les mobilisations de ces alpins vont au-delà des cadres traditionnels et les prennent de court. Les syndicats, les partis politiques et les autres organisations ont comme souvent ces dernières années du retard à l’allumage. Ainsi, il faut attendre le 19 novembre pour avoir un communiqué commun des plus grandes fédérations de pratiquants de montagne et de syndicats prenant officiellement position pour un accès équitable, libre et responsable à la nature ; un jour après que d’autres fédérations sportives et d’usagers des pratiques de plein air avaient agi dans le même sens … 7 mois tout de même après le lancement de la pétition qui réclamait l’identique, on aura vu plus rapide comme réaction ! Certes, des actions avaient été menées jusqu’à présent par certaines organisations mais souvent de manière isolée et sans communiquer auprès du grand public, entraînant l’incompréhension grandissante des pratiquants et professionnels.

Des organisations qui ont finalement pris position au cours du mois de novembre

Désormais, les revendications des militants et leurs mobilisations sous de multiples formes, ont réussi à investir jusqu’à la sphère politique, la forte médiatisation de leurs actions poussant un certain nombre de partis, de femmes et hommes politiques à se positionner :

Les parlementaires reprennent l’argument des premiers opposants :

« Sur le plan sanitaire, les études récentes démontrent que le risque de contamination à la Covid-19 en plein air et dans le respect des gestes barrière est quasi-inexistant », écrivent les sénateurs, mettant en avant les mots de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « La sédentarité renforce toutes les causes de mortalité, double le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète, d’obésité et augmente les risques de cancer du côlon, d’hypertension artérielle, d’ostéoporose, de troubles lipidiques, de dépression et d’anxiété. » – Public Sénat

De plus, le 16 novembre, le combat s’étend au travers d’une procédure judiciaire : en effet, Billy Fernandez choisit, au vu de l’absence de réponses à ses courriers d’interpellation à l’adresse d’Emmanuel Macron, de Jean Castex et d’Olivier Veyran, de saisir le Conseil d’État avec d’autres citoyens et partis politiques écologiques (Europe Ecologie Les Verts et Génération Ecologie) : ensemble, ils déposent une procédure en référé pour suspendre la règle du kilomètre, appuyés par les témoignages de personnes vivant dans des espaces où la nature est absente dans le seul kilomètre qui leur est autorisé pour vivre. Ils s’appuient pour défendre leur cause sur la Charte de l’environnement et plus particulièrement son article 1er :

Article 1er. Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Si l’issue de ce combat n’est pas encore écrite, les montagnards des Alpes en première ligne sur ce sujet ont bien démontré toutes leurs capacités et leurs imaginations à se mobiliser pour une cause de première ordre dans un 21ème siècle où les Alpes en pleine mutation devront encore compter sur eux dans l’avenir pour relever de nombreux défis.

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